Page 122 - La Trag

Basic HTML Version

118
La Tragédie des Siècles
sitions par des citations des saintes Ecritures. Après avoir donné, à
haute et intelligible voix, lecture de son travail, il le passa au car-
dinal, qui le mit de côté avec mépris, déclarant qu’il ne contenait
qu’une masse de paroles vaines et de citations intempestives. Exa-
cerbé, Luther prit alors l’offensive, et, se plaçant sur le terrain de son
adversaire : la tradition et les enseignements de l’Eglise, il réfuta
victorieusement toutes ses affirmations.
Lorsque le prélat vit que le raisonnement de Luther était sans
réplique, il perdit patience et recommença à crier : “Rétracte ! Ré-
tracte ! ou si tu ne le fais, je t’envoie à Rome pour y comparaître
devant les juges qui ont été chargés de prendre connaissance de ta
cause. Je t’excommunierai, toi, tous tes partisans, tous ceux qui te
sont ou te deviendront favorables, et je les jetterai hors de l’Eglise.”
Il termina d’un ton hautain et irrité : “Rétracte-toi, ou ne reparais
plus devant moi !”
Le réformateur se retira aussitôt, suivi de ses amis, signifiant
ainsi à son adversaire qu’il ne fallait attendre aucune rétractation
de sa part. Ce n’était pas ce que le cardinal avait espéré. Il s’était
[145]
bercé de l’illusion qu’il aurait raison de Luther par l’intimidation.
Demeuré seul avec ses partisans, il les regardait successivement, tout
confus d’un échec aussi complet qu’imprévu.
Cette rencontre ne demeura pas stérile. L’assemblée avait eu l’oc-
casion de comparer les deux hommes et de juger, par elle-même, de
l’esprit qui les animait, aussi bien que de la force de leurs positions.
Le contraste était frappant entre le réformateur, simple, humble,
ferme, fort de la force de Dieu, ayant la vérité de son côté et le
représentant du pape, plein de lui-même, impérieux, hautain, dérai-
sonnable, qui, incapable de lui opposer des arguments scripturaires,
ne savait que lui crier avec véhémence : “Rétracte-toi, sinon je t’en-
verrai à Rome pour y subir ton châtiment !”
Sans tenir compte du sauf-conduit de l’empereur, ses ennemis
se préparaient à se saisir de lui pour le jeter en prison. D’autre
part, ses amis lui représentaient que sa présence à Augsbourg étant
désormais inutile, il devait rentrer à Wittenberg sans délai, avec
les plus grandes précautions et dans le plus grand secret. Au petit
jour, à cheval, accompagné seulement d’un guide qui lui fut fourni
par le magistrat, Luther quitta Augsbourg. Hanté par de sombres
pressentiments, il cheminait en silence le long des rues obscures et