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La Tragédie des Siècles
L’électeur constatait en outre le plein succès de l’enseignement
de Luther à l’université. Une année seulement s’était écoulée depuis
que le réformateur avait affiché ses thèses à la porte de l’église du
château. Mais le nombre des pèlerins qui la visitaient à la Toussaint
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avait déjà sensiblement diminué. Rome avait perdu des adorateurs
et des offrandes, mais ceux-ci étaient remplacés par les étudiants en
quête de science qui venaient remplir les auditoires de Wittenberg.
Les écrits de Luther avaient suscité en tous lieux le désir d’étudier
les Ecritures, et ce n’était pas seulement de toutes les parties de l’Al-
lemagne que les étudiants accouraient, mais aussi des pays voisins.
“Au moment où ils découvraient dans le lointain les clochers de cette
ville, ces jeunes gens... s’arrêtaient et élevaient les mains vers le
ciel, louant Dieu de ce qu’il y faisait luire, comme autrefois de Sion,
la lumière de la vérité pour l’envoyer jusqu’aux contrées les plus
éloignées.”
Luther n’avait encore que partiellement abandonné les erreurs
du romanisme. Une comparaison des décrets et des constitutions
de Rome avec les saintes Ecritures le jetait dans la plus profonde
stupéfaction. “Je lis les décrets des pontifes, écrivait-il à Spalatin,
et (je te le dis à l’oreille) je ne sais pas si le pape est l’Antichrist
lui-même ou s’il est son apôtre, tellement Jésus y est dénaturé et
crucifié.” Pourtant, Luther était encore un fils docile de l’Eglise
romaine, et la pensée de se séparer de sa communion n’avait pas
encore effleuré son esprit.
Les écrits et la doctrine du réformateur s’étaient répandus dans
toute la chrétienté. Leur influence se manifestait en Suisse et en
Hollande. Des exemplaires de ses écrits avaient passé en France et
en Espagne. En Angleterre, ses enseignements étaient reçus comme
la Parole de vie. La vérité avait aussi pénétré en Belgique et en Italie.
Des milliers de gens avaient été arrachés à leur torpeur mortelle et
goûtaient la joie d’une vie d’espérance et de foi.
A Rome, l’exaspération grandissait à vue d’œil à l’ouïe des
succès de Luther. Quelques-uns de ses adversaires les plus acharnés,
même des professeurs d’universités catholiques, déclaraient innocent
celui qui le tuerait. Un jour, un étranger qui dissimulait un pistolet
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sous son habit s’approcha du réformateur et lui demanda pourquoi il
sortait seul. “Je suis entre les mains de Dieu, répondit Luther. Il est
ma force et mon bouclier, que peut me faire l’homme mortel ?” Alors