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La Tragédie des Siècles
Ce fut une épreuve terrible pour la Réforme. Pendant des siècles,
les foudres de l’excommunication avaient frappé de terreur les plus
puissants souverains, plongeant de grands empires dans le malheur
et la désolation. Ceux qui en étaient les objets étaient regardés avec
horreur. Traités en parias, ils étaient retranchés de la communion
de leurs semblables, traqués et mis à mort. Luther ne fermait pas
les yeux sur la tempête qui grondait sur sa tête, mais il demeurait
ferme, assuré que Jésus-Christ serait son défenseur et son bouclier.
Animé de la foi et du courage d’un martyr, il écrivait : “Que va-t-il
arriver ? Je l’ignore. ... Où que ce soit que le coup frappe, je suis sans
crainte. Une feuille d’arbre ne tombe pas sans la volonté de notre
Père. Combien moins nous-mêmes ! ... C’est peu de chose que de
mourir pour la Parole, puisque cette Parole qui s’est incarnée pour
nous est morte d’abord elle-même. Si nous mourons avec elle, nous
ressusciterons avec elle. Passant par où elle a passé, nous arriverons
où elle est arrivée, et nous demeurerons près d’elle pendant toute
l’éternité.”
En recevant la bulle, Luther s’écria : “Je la méprise et l’attaque
comme impie et mensongère. ... C’est Jésus-Christ lui-même qui y
est condamné. ... Je me réjouis d’avoir à supporter quelques maux
pour la meilleure des causes. Je sens déjà plus de liberté dans mon
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cœur ; car je sais enfin que le pape est l’antichrist, et que son siège
est celui de Satan.”
Le document papal ne resta pas sans effet. La prison, l’épée, la
torture étaient des moyens employés pour imposer l’obéissance. Les
faibles et les superstitieux tremblèrent ; et, bien que les sympathies
allassent généralement vers Luther, on n’était pas disposé à risquer
sa vie pour la cause de la Réforme. Selon toute apparence, l’œuvre
du réformateur touchait à son terme. Rome avait fulminé contre lui
ses anathèmes, et le monde l’observait, convaincu qu’il périrait ou
qu’il serait forcé de céder. Il n’en fut rien. D’un geste calme, mais
puissant et terrible, le réformateur rejeta la sentence comminatoire
et annonça publiquement sa décision de se séparer de la papauté
pour toujours. En présence d’une foule composée d’étudiants, de
docteurs et de citoyens de tous rangs, il livra au feu la bulle du pape,
des exemplaires du droit canon, des décrétales et d’autres écrits
soutenant le pouvoir papal. “Mes ennemis, dit-il, ont pu, en brûlant
mes livres, nuire à la vérité dans l’esprit du commun peuple et perdre