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La Tragédie des Siècles
soit l’appel de Dieu lui-même. S’ils veulent employer contre moi
la violence, comme cela est vraisemblable (car ce n’est pas pour
s’instruire qu’ils me font comparaître), je remets la chose entre les
mains du Seigneur. Celui qui protégea les trois jeunes hommes dans
la fournaise vit et règne encore. S’il ne veut pas me sauver, c’est
peu de chose que ma vie. Empêchons seulement que l’Evangile ne
soit exposé aux railleries des impies, et répandons pour lui notre
sang. Ce n’est pas à moi de décider si ce sera ma vie ou ma mort qui
contribuera le plus au salut de tous. ... Attendez tout de moi... sauf la
fuite et la rétractation. Fuir, je ne puis, me rétracter moins encore.”
La nouvelle que Luther allait comparaître devant la diète pro-
voqua à Worms une grande agitation. Aléandre, le légat papal spé-
cialement chargé de cette affaire, prévoyant que les conséquences
de cette comparution seraient désastreuses pour la papauté, en fut
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alarmé et irrité. Instruire une cause sur laquelle le pape avait déjà
passé condamnation, c’était jeter le mépris sur l’autorité du souve-
rain pontife. Il redoutait en outre que les arguments puissants et
éloquents de Luther ne détournassent plusieurs princes des intérêts
du pape. Il suppliait donc instamment l’empereur de ne pas le faire
comparaître. La bulle d’excommunication contre Luther ayant paru
vers ce temps-là, l’empereur résolut de déférer aux supplications du
légat. Il écrivit à l’électeur que si Luther ne voulait pas se rétracter,
il devait rester à Wittenberg.
Non content de cette victoire, Aléandre manœuvra de toutes ses
forces pour assurer la condamnation de Luther. Devant les prélats,
les princes et les autres membres de l’assemblée, avec une insistance
digne d’une meilleure cause, il accusa Luther de “sédition, d’impiété
et de blasphème”. Mais la véhémence et la passion que le légat
manifestait révélaient trop clairement l’esprit dont il était animé.
“C’est la haine, c’est l’amour de la vengeance qui l’inspire, disait-
on, plutôt que le zèle et la piété.” Et la majorité de la diète était de
plus en plus encline à envisager avec faveur la cause du réformateur.
Redoublant de zèle, Aléandre insistait auprès de l’empereur pour
qu’on exécutât les édits du pape. Or, sous les lois allemandes, cela
n’était pas possible sans l’assentiment des princes. Vaincu enfin par
l’importunité du légat, Charles Quint invita ce dernier à présenter son
cas devant la diète. “Ce fut un grand jour pour le nonce. L’assemblée
était auguste et la cause plus auguste encore. Aléandre devait plaider