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La Tragédie des Siècles
A son entrée dans la ville, l’animation fut intense : une grande
foule lui souhaita la bienvenue. L’empereur lui-même n’avait pas
vu une aussi grande foule venir le saluer. Du milieu de la foule, une
voix perçante et plaintive fit entendre le chant des morts pour avertir
Luther du sort qui le menaçait. “Dieu sera ma défense”, dit-il en
descendant de voiture.
Les romanistes n’avaient pas cru que Luther oserait venir à
Worms ; aussi son arrivée les plongea-t-elle dans la consternation.
L’empereur convoqua aussitôt ses conseillers afin de savoir quel parti
prendre. L’un des évêques, papiste rigide, prenant la parole, s’écria :
“Nous nous sommes longuement consultés sur cette affaire. Que
votre Majesté impériale se débarrasse promptement de cet homme.
Sigismond n’a-t-il pas fait brûler Jean Hus ? On n’est tenu ni de
donner un sauf-conduit à un hérétique ni de le respecter.” “Non ! dit
Charles : ce qu’on a promis, il faut qu’on le tienne.” On décida, en
conséquence, de faire comparaître le réformateur.
Toute la ville désirait voir cet homme extraordinaire. Bientôt,
une foule de visiteurs envahit son appartement. A peine remis de sa
récente maladie, fatigué d’un voyage qui avait duré deux semaines
entières, et devant se préparer à la comparution solennelle du len-
demain, il avait besoin de calme et de repos. Mais leur désir de le
voir était si grand que nobles, chevaliers, prêtres, citoyens se pres-
saient autour de lui. De ce nombre étaient plusieurs de ceux qui
avaient hardiment demandé à l’empereur de mettre fin aux abus du
clergé, et qui, dit plus tard Luther, “avaient tous été affranchis par
mon Evangile”. Amis et ennemis accouraient pour contempler ce
moine intrépide au visage pâle, émacié, qui recevait chacun avec une
bienveillance enjouée. Son calme, sa dignité, son tact, son attitude
ferme et courageuse, la solennité de ses paroles lui donnaient une
autorité à laquelle ses ennemis eux-mêmes avaient peine à résister,
et qui remplissait chacun d’étonnement. Les uns voyaient en lui une
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puissance divine, d’autres répétaient les paroles des pharisiens au
sujet du Christ : “Il a un démon.”
Le lendemain, sommé de comparaître devant la diète, Luther y
fit son entrée, conduit par un officier impérial, après avoir traversé
des rues encombrées d’une foule avide de voir celui qui avait osé
braver l’autorité du pape.