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La Tragédie des Siècles
C’est ainsi que Zwingle soutenait la bataille contre ses rusés
antagonistes. “Il a plus travaillé, dit Myconius, par ses méditations,
ses veilles, ses conseils et ses recommandations, qu’il ne l’eût fait
en assistant lui-même à la dispute
Les partisans du pape, assurés de leur triomphe, étaient arrivés à
Bade en vêtements de soie et parés de bijoux. Traités royalement,
ils s’asseyaient à une table chargée des mets les plus recherchés et
des vins les plus fins. Ils se délassaient du poids de leurs devoirs
ecclésiastiques par des réjouissances et des festins. Les réformateurs
offraient avec eux un contraste frappant. Leur mise simple les eût
fait prendre pour des mendiants, et leur frugalité pour des ascètes.
L’hôte d’Œcolampade, qui l’épiait dans sa chambre, le surprenait
toujours soit à l’étude, soit en prière, et rapporta avec étonnement
que cet hérétique était en tout cas “très dévôt”.
A l’ouverture de la conférence, le docteur “Eck monta fièrement
dans une chaire magnifiquement décorée, tandis que l’humble Œco-
lampade, chétivement vêtu, prenait place en face de son superbe
adversaire sur un tréteau grossièrement travaillé”. Eck parlait d’une
voix retentissante et avec une imperturbable assurance ; son zèle était
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stimulé par l’or aussi bien que par les honneurs : le défenseur de la
foi devait, en effet, recevoir une importante rémunération. Quand
les arguments lui manquaient, il avait recours aux injures et aux
imprécations.
Œcolampade, naturellement timide et modeste, avait longtemps
hésité à prendre part à la dispute ; il ne s’y était décidé qu’en faisant
à l’avance cette protestation solennelle : “Je ne reconnais pour règle
de foi que la Parole de Dieu.” Doux et courtois, il se montra à la fois
érudit et inébranlable. Tandis que les champions de l’Eglise faisaient
constamment appel à l’autorité et aux usages de l’Eglise, le réforma-
teur en appelait invariablement aux saintes Ecritures. “La coutume,
disait-il, n’a de valeur dans notre Suisse que par la constitution : or,
en matière de foi, la constitution, c’est la Bible.”
Le contraste entre les deux antagonistes ne fut pas sans produire
son effet. Le calme, la sérénité et la modestie du réformateur, aussi
bien que la clarté de ses exposés, le recommandaient à ses audi-
1. Myconius,
Vita Zwingli, 10
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