Page 222 - La Trag

Basic HTML Version

218
La Tragédie des Siècles
L’établissement du protestantisme comme religion nationale en
Angleterre atténua la persécution sans toutefois l’abolir entièrement.
Le peuple avait renoncé à plusieurs des doctrines de Rome, mais
il conservait encore nombre de ses cérémonies. La suprématie du
pape avait été remplacée par celle du roi. Dans le culte, on était
encore bien éloigné de la pureté et de la simplicité évangéliques. Le
grand principe de la liberté religieuse était méconnu. Les souverains
protestants eurent rarement recours aux atrocités exercées par Rome
contre l’hérésie ; toutefois, ils ne reconnaissaient pas à chacun le
droit de servir Dieu selon sa conscience. Il fallait accepter les ensei-
gnements et suivre la forme de culte de l’Eglise établie ; aussi, des
siècles durant, les dissidents furent-ils plus ou moins cruellement
traités.
Au dix-septième siècle, il était interdit au peuple, sous peine de
fortes amendes, de prison ou de bannissement, d’assister aux assem-
[271]
blées non autorisées par l’Eglise. Des milliers de pasteurs furent
arrachés à leurs troupeaux. Les âmes fidèles, ne pouvant renoncer
à adorer Dieu à leur manière, se retrouvaient dans d’étroites allées,
dans de sombres greniers, et, à certaines saisons de l’année, au mi-
lieu des bois et à minuit. C’est dans les profondeurs protectrices des
temples de la nature que ces enfants de Dieu se réunissaient pour
faire monter au ciel leurs louanges et leurs prières. Mais, en dépit
de toutes leurs précautions, une foule d’entre eux furent appelés à
souffrir pour leur foi. Les prisons regorgeaient. Des familles étaient
disloquées ou s’expatriaient. Mais Dieu était avec ses enfants, et la
persécution ne parvenait pas à réduire leur témoignage au silence.
D’ailleurs, un grand nombre d’entre eux, contraints de traverser les
mers, se rendirent en Amérique où ils jetèrent les bases d’une répu-
blique fondée sur le double principe de la liberté civile et religieuse,
qui a fait la sécurité et la gloire des Etats-Unis.
On vit alors, comme aux jours des apôtres, la persécution contri-
buer aux progrès de l’Evangile. John Bunyan, jeté dans une infecte
prison, au milieu de débauchés et de voleurs, y respirait néanmoins
l’atmosphère même du ciel, et écrivit là sa merveilleuse allégorie du
voyage du chrétien allant du pays de la perdition à la cité céleste.
Depuis plus de deux siècles, cette voix sortie de la prison de Bedford
ne cesse de remuer les cœurs. Les ouvrages de Bunyan, le
Voyage du