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La Tragédie des Siècles
”Si, au cours de ces trois siècles, la main active de ces exilés
avait cultivé le sol national ; si leurs talents industriels avaient per-
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fectionné ses usines ; si leur génie créateur avait enrichi sa littérature
et cultivé ses sciences ; si leur sagesse avait dirigé ses conseils ; si
leur bravoure s’était donné libre carrière sur ses champs de bataille ;
si leur équité avait rédigé ses lois et si la religion de l’Evangile avait
formé les consciences, quelle ne serait pas, aujourd’hui, la gloire de
la France ! Grande, prospère, heureuse, elle eût servi de modèle à
tous les peuples de la terre !
”Au lieu de cela, un fanatisme aveugle et inexorable chassait
du sol français les maîtres de la vertu, les champions de l’ordre et
les vrais soutiens du trône. En disant aux hommes qui auraient pu
assurer la gloire de leur patrie : Vous avez le choix entre l’exil et le
bûcher, on consomma la ruine de l’Etat. Et comme il ne resta plus
de conscience à proscrire, plus de religion à traîner sur la roue, plus
de patriotisme à exiler, on eut la Révolution et ses horreurs.
”La fuite des Huguenots avait été suivie en France d’une dé-
cadence générale. Des villes industrielles florissantes tombèrent à
rien ; des régions fertiles demeurèrent en friche. A une période de
progrès sans précédent succédèrent le marasme intellectuel et le
déclin moral. Paris devint une vaste aumônerie où deux cent mille
personnes, au moment de la Révolution, attendaient leur subsistance
des largesses royales. Seuls, au sein de la décadence, les Jésuites
prospéraient et faisaient peser le joug de leur tyrannie sur les Eglises,
sur les écoles, dans les prisons et sur les galères.”
L’Evangile aurait apporté à la France la solution des problèmes
politiques et sociaux qui déjouaient l’habileté de son clergé, de
son roi et de ses législateurs et qui finirent par plonger le pays
dans l’anarchie et la ruine. Malheureusement, sous la tutelle de
Rome, le peuple avait oublié les enseignements bénis du Sauveur
se résumant dans l’amour du prochain. On l’avait détourné de la
voie du désintéressement. On n’avait pas censuré le riche opprimant
le pauvre ni secouru le pauvre dans sa servitude et sa dégradation.
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L’égoïsme du riche et du puissant était devenu de plus en plus dur et
cruel. Depuis des siècles, une noblesse prodigue et dissolue écrasait
le paysan ; le riche pillait le pauvre et chez le pauvre la haine allait
en grandissant.