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La Tragédie des Siècles
déchaînèrent contre le peuple de Dieu caché dans les montagnes une
série d’atroces croisades. Des inquisiteurs y furent envoyés, et l’on
vit se répéter la scène de l’innocent Abel tombant sous les coups
de Caïn. A plusieurs reprises, les terres fertiles de cette population
innocente et industrieuse furent réduites en désert ; ses chapelles
furent démolies et ses foyers anéantis. De même que la vue du sang
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excite la rage du fauve, la fureur des persécuteurs s’alimentait des
souffrances mêmes de leurs victimes. Les témoins de la foi furent
poursuivis et traqués à travers monts et vallées, au sein des forêts
et dans les cavernes des rochers où ils s’étaient réfugiés. Aucune
accusation ne pouvait être portée contre ces proscrits. Leurs ennemis
mêmes les qualifiaient de gens paisibles et pieux. Leur crime était
de ne pas servir Dieu au gré du pape. Et pour cette seule raison, ils
furent abreuvés de toutes les humiliations, de toutes les injures et de
toutes les tortures que les hommes et les démons purent inventer.
Résolue d’en finir avec la secte abhorrée, Rome avait lancé contre
elle une bulle qui en qualifiait les membres d’hérétiques et les vouait
à l’extermination
On ne leur reprochait ni indolence, ni improbité,
ni désordre ; on déclarait au contraire qu’ils avaient une apparence
de piété et de sainteté propre à “séduire les brebis du vrai bercail”.
En conséquence, le pape décrétait “que si cette secte pernicieuse et
abominable refusait d’abjurer, elle serait écrasée comme un serpent
venimeux
. Le hautain pontife ne savait-il pas que ses paroles
étaient enregistrées dans les livres du ciel, et qu’il devrait en rendre
compte au jour du jugement ? “Toutes les fois que vous avez fait ces
choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous
les avez faites
Cette bulle invitait tous les fidèles à prendre part à la croisade
contre les hérétiques. Pour encourager chacun à prêter son concours
à cette cruelle entreprise, elle “absolvait de toute peine ecclésias-
tique, générale ou particulière, et dégageait de tout serment ceux
qui y participeraient ; elle légitimait le titre de toute propriété illé-
galement acquise et promettait la rémission de tous leurs péchés à
ceux qui réussiraient à tuer un hérétique. Elle annulait tout contrat
favorable aux Vaudois, ordonnait à leurs domestiques de les aban-
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1. Voir Appendice.
2. Wylie, ouv. cité, liv. XVI, ch. I.
3.
Matthieu 25 :40
.