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Jésus-Christ
non qu’il se mît en peine des pauvres, mais parce qu’il était voleur
et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait.” Judas n’avait
pas de tendresse pour les pauvres. Si on lui avait remis le prix de
la vente du parfum de Marie, les pauvres n’en auraient reçu aucune
part.
Judas avait une haute opinion de ses aptitudes d’homme pratique.
Au point de vue financier, il se croyait très supérieur à ses collègues,
à qui il avait inspiré la même idée. Ayant gagné leur confiance, il
exerçait sur eux une grande influence. Il les trompait par sa feinte
sympathie pour les pauvres, et ses insinuations habiles leur firent
juger avec méfiance l’acte de dévotion accompli par Marie. Un
murmure courut tout autour de la table : “A quoi bon cette perte ?
On aurait pu vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux
pauvres.”
Marie fut émue par ces paroles désobligeantes. Elle craignit que
sa sœur ne lui reprochât sa prodigalité. Peut-être que le Maître, lui
aussi, la jugeait imprévoyante. Elle allait se retirer, sans se défendre
ni présenter d’excuse, lorsque la voix de son Seigneur se fit entendre :
“Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ?” Il avait vu son
embarras et sa détresse, il savait qu’elle avait désiré, par son acte,
exprimer sa gratitude pour le pardon de ses péchés, et il voulut
ramener le calme dans son esprit. Elevant la voix au-dessus des
murmures de médisance, il dit : “Elle a accompli une bonne action à
mon égard ; car vous avez toujours les pauvres avec vous, et vous
pouvez leur faire du bien quand vous le voulez, mais moi, vous ne
m’avez pas toujours. Elle a fait ce qu’elle a pu ; elle a d’avance
embaumé mon corps pour la sépulture.”
Le don odoriférant que Marie s’était proposé de prodiguer sur
la dépouille du Sauveur, elle le répandit sur lui pendant qu’il vi-
vait encore. Lors de l’ensevelissement, la douceur de ce parfum eût
simplement rempli sa tombe, tandis que son cœur fut réjoui par ce
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témoignage de foi et d’amour. Joseph d’Arimathée et Nicodème
n’offrirent pas leurs dons d’amour à Jésus pendant sa vie. Ils ap-
portèrent à son corps froid et inconscient leurs coûteuses essences.
Les femmes qui apportèrent des aromates au tombeau firent une
démarche inutile, car Jésus était ressuscité. Mais, en répandant son
amour sur le Sauveur alors qu’il pouvait l’apprécier, Marie l’oignait
en vue de sa sépulture et lorsque, plus tard, il s’enfoncera dans les