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En mémoire de moi
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aux regards inquisiteurs des autres disciples, il demanda, lui aussi :
“Maître, est-ce moi ?” Jésus affirma avec solennité : “Tu l’as dit.”
Surpris et confus de ce que son dessein avait été dévoilé, Judas
se leva en hâte, pour quitter la pièce. “Jésus lui dit : Ce que tu fais,
fais-le vite. ... Judas prit le morceau et sortit aussitôt. Il faisait nuit.”
La nuit était dans le cœur du traître au moment où il s’éloignait du
Christ pour s’enfoncer dans les ténèbres du dehors.
Jusqu’à ce moment-là, Judas n’avait pas fait de démarche qui
lui rendît la repentance impossible. Mais lorsqu’il sortit hors de la
présence de son Maître et de ses collègues, la décision finale était
prise. Il avait franchi la limite.
Jésus avait fait preuve d’une longanimité étonnante envers cette
âme tentée. Rien n’avait été négligé de ce qui eût pu sauver Judas.
Même après qu’il s’était engagé, par deux fois, à trahir son Maître,
Jésus lui donna, avec l’occasion de se repentir, une preuve décisive de
sa divinité, en dévoilant l’intention secrète que le traître dissimulait
en son cœur. Ce fut, pour le faux disciple, le dernier appel à la
repentance. Le cœur du Christ, divin et humain à la fois, n’avait
épargné aucun appel. Les vagues de la miséricorde, refoulées par
un orgueil obstiné, revenaient à l’assaut avec plus de force pour le
vaincre par l’amour. Mais Judas était d’autant plus décidé qu’il avait
été surpris et alarmé par la découverte de son crime. Il sortit du
souper sacramentel pour achever son œuvre de trahison.
En prononçant ce malheur sur Judas, le Christ avait aussi un
dessein d’amour envers ses disciples. Il voulait leur donner la preuve
finale de sa messianité. Il leur déclara : “Dès à présent, je vous le
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dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu’elle arrivera, vous
croyiez que moi, JE SUIS.” Si Jésus avait gardé le silence et paru
ignorer qu’on allait le livrer entre les mains d’une populace avide de
sang, les disciples auraient pu en conclure que leur Maître n’avait
aucune prescience divine. Une année auparavant, Jésus avait dit aux
disciples qu’il en avait choisi douze, mais que l’un d’entre eux était
un démon. Les paroles que Jésus adressait maintenant à Judas, tout
en montrant que la perfidie de ce dernier était parfaitement connue
du Maître, auraient pour effet d’affermir la foi des vrais disciples du
Christ, pendant son humiliation. Et, à l’heure où Judas terminerait
sa vie d’une façon si effroyable, ils se rappelleraient la sentence de
malheur prononcée par Jésus sur le traître.