Page 549 - La Trag

Basic HTML Version

Chapiter 39 — Le temps de détresse
545
rentrer au pays accompagné de ses femmes, de ses enfants et de
ses troupeaux de gros et de menu bétail. Parvenu à la frontière,
il fut frappé de terreur par la nouvelle que son frère, évidemment
animé d’un sentiment de vengeance, venait à sa rencontre à la tête
d’une troupe d’hommes armés. Jacob comprit que, sans armes et
sans défense, sa caravane était, selon toute probabilité, condamnée
à être massacrée. A ce motif d’effroi venaient s’ajouter de cuisants
[669]
remords à la pensée que son péché était cause de ce danger. Son
unique espérance résidait dans la miséricorde de Dieu, sa seule
arme était la prière. Il ne négligea néanmoins aucune précaution
pour réparer le tort fait à son frère et pour conjurer le péril qui le
menaçait. A l’approche du temps de détresse, le peuple de Dieu
devra faire également tout ce qui est en son pouvoir pour gagner les
bonnes grâces du public, pour désarmer les préjugés et détourner le
danger qui menacera la liberté de conscience.
Ayant envoyé sa famille devant lui afin de lui épargner la vue de
son angoisse, Jacob s’isola pour plaider avec Dieu. Il lui confessa ses
péchés, et il reconnut, avec des actions de grâces, les faveurs dont le
Seigneur l’avait comblé. En des termes qui trahissent une profonde
humiliation, il rappela à Dieu l’alliance conclue avec ses pères et les
promesses qui lui avaient été faites, à Béthel, dans sa vision nocturne,
alors qu’il se rendait au pays de l’exil. La crise de sa vie était venue ;
tout ce qu’il possédait était en jeu. Solitaire, Jacob passa la nuit à
prier et à s’humilier. Soudain, une main le saisit par l’épaule. Se
croyant assailli par un ennemi qui en voulait à sa vie, il se défendit
avec l’énergie du désespoir. A l’aube, l’inconnu, usant d’une puis-
sance surhumaine, appuya sa main sur la hanche du robuste berger
qui, momentanément paralysé, et soudain éclairé, se jeta impuissant
et sanglotant sur le cou de son mystérieux antagoniste. Jacob savait,
maintenant, qu’il avait lutté avec l’ange de l’Alliance. Mais, bien
que devenu infirme et en proie à une vive douleur, il ne renonça pas
à son dessein. Assez longtemps les regrets et les remords l’avaient
tourmenté ; il voulait avoir l’assurance de son pardon. Comme le
divin Visiteur semblait se disposer à le quitter, Jacob se cramponna
à lui et le supplia de le bénir. A l’ange qui lui disait : “Laisse-moi
aller, car l’aurore se lève”, le patriarche répondit : “Je ne te laisserai
point aller, que tu ne m’aies béni !” Parole admirable de confiance,
de courage et de constance ! Si elle avait été dictée par l’orgueil ou