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La Tragédie des Siècles
Il en ignorait même l’existence. Il avait entendu lire, au service reli-
gieux, des fragments des évangiles et des épîtres, et il supposait que
cela constituait toutes les Ecritures. Pour la première fois, il contem-
plait la Parole de Dieu dans sa totalité. C’est avec un étonnement
mêlé de crainte qu’il tournait les pages sacrées. Le cœur battant, le
pouls accéléré, il s’interrompait pour s’écrier : “Oh ! si Dieu voulait
un jour me donner à moi un tel livre !” Des rayons de lumière éma-
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nant du trône de Dieu révélaient au jeune étudiant entouré d’anges
les trésors de la vérité. Il avait toujours craint d’offenser Dieu. Mais
maintenant la conviction profonde de sa culpabilité s’emparait de sa
conscience plus fortement que jamais.
Son désir de s’affranchir du péché et de trouver la paix avec Dieu
devint si impérieux qu’il finit par se décider à entrer dans un couvent.
Là, il fut astreint aux travaux les plus humiliants et dut même aller
mendier de porte en porte. A l’âge où l’on éprouve le plus grand
besoin d’être considéré et apprécié, Luther aurait pu être découragé
de se voir contraint d’accomplir ces fonctions humbles et de nature
à mortifier cruellement ses sentiments naturels, mais il supportait
patiemment cette humiliation qu’il estimait nécessaire à l’expiation
de ses péchés.
Tous les instants qu’il pouvait dérober à ses devoirs journaliers,
à son sommeil, et même à ses maigres repas, étaient consacrés à
l’étude. La Parole de Dieu, surtout, faisait ses délices. Il avait trouvé
un exemplaire du saint Livre enchaîné à la muraille du couvent,
et il se rendait souvent en cet endroit pour en faire la lecture. De
plus en plus accablé par le sentiment de ses péchés, il continuait à
chercher la paix et le pardon par ses propres moyens, s’efforçant
de dompter les faiblesses de sa nature par des jeûnes, des veilles
et une discipline rigoureuse. Soupirant après une pureté de cœur
qui lui apportât l’approbation de Dieu, il ne reculait devant aucune
pénitence.
“Vraiment, écrivait-il plus tard, j’ai été un moine pieux, et j’ai
suivi les règles de mon ordre plus sévèrement que je ne saurais
l’exprimer. Si jamais moine eût pu entrer dans le ciel par sa moi-
nerie, certes j’y serais entré... Si cela eût duré longtemps encore, je
me serais martyrisé jusqu’à la mort.” Ces mortifications altérèrent
profondément sa santé. Il devint sujet à des évanouissements dont
les suites devaient se faire sentir jusqu’à la fin de sa vie. En dépit de
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