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La Tragédie des Siècles
Mais comme le sauf-conduit de Luther devait être respecté, il
fallait, avant de sévir contre lui, lui donner le temps de rentrer chez
lui sain et sauf.
A ce sujet, deux opinions contradictoires se manifestèrent parmi
les membres de la diète. Les représentants du pape demandaient
qu’on ne respectât pas le sauf-conduit. Selon eux, les cendres de
Luther devaient être jetées dans le Rhin, comme l’avaient été celles
de Hus, un siècle plus tôt. Mais les princes allemands, bien que
papistes et ennemis du réformateur, protestaient contre une telle
violation de la parole donnée, qui eût été une tache pour la nation
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entière. Rappelant les calamités qui avaient suivi l’exécution de Jean
Hus, ils déclarèrent qu’ils n’osaient pas attirer sur l’Allemagne et
sur son jeune empereur de semblables catastrophes.
Charles Quint lui-même répondit à cette proposition : “Si la
bonne foi et la loyauté étaient bannies de tout l’univers, elles de-
vraient trouver un refuge dans le cœur des princes.” Alors, les enne-
mis les plus acharnés du réformateur pressèrent le monarque d’agir
avec lui comme l’avait fait Sigismond avec Jean Hus : le livrer aux
compassions de l’Eglise. Charles, se rappelant Hus montrant ses
chaînes au milieu du concile et accusant publiquement l’empereur
d’avoir trahi la foi jurée, répliqua : “Je ne tiens nullement à rougir
en public comme Sigismond.”
Charles Quint n’en avait pas moins délibérément rejeté les vérités
dont Luther était le champion. “Je suis fermement résolu à suivre
l’exemple de mes ancêtres”, disait le monarque. Il avait décidé de
ne pas quitter les sentiers de la coutume pour suivre les voies de
la vérité et de la justice. Comme ses pères, il voulait soutenir la
papauté, sa cruauté et ses abus. Ayant pris cette position, il refusa
d’accepter des lumières que ses pères n’avaient pas reçues, ou de se
soumettre à des devoirs qu’ils n’avaient point connus.
Nombreux sont encore, de nos jours, ceux qui s’attachent aux
coutumes et aux traditions de leurs pères. Quand le Seigneur leur
envoie de nouvelles lumières, ils les refusent parce que leurs pères
n’en ont pas joui, oubliant qu’ils ne vivent plus au temps de leurs
pères, et que leurs devoirs et leurs responsabilités ne sont pas les
mêmes. Ce ne sont pas nos pères, mais les oracles de Dieu, qui
doivent déterminer notre devoir. Notre responsabilité est plus grande
que celle de nos ancêtres, car nous devrons rendre compte à la fois