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La Tragédie des Siècles
comme le potier tient l’argile dans la sienne. Nous avons le droit de
dire ; nous n’avons pas celui d’agir. Prêchons : le reste appartient
à Dieu. Si j’emploie la force, qu’obtiendrai-je ? des grimaces, des
apparences, des singeries, des ordonnances humaines, des hypocri-
sies. ... Mais il n’y aura ni sincérité de cœur, ni foi, ni charité. Tout
manque dans une œuvre où manquent ces trois choses, et je n’en
donnerais pas... la queue d’une poire. Dieu fait plus par sa seule
Parole que si vous, moi, et le monde entier réunissions toutes nos
forces. Dieu s’empare du cœur et le cœur une fois pris, tout est pris.
...
” Je veux prêcher, je veux parler, je veux écrire ; mais je ne veux
contraindre personne, car la foi est une chose volontaire. Voyez ce
que j’ai fait ! je me suis élevé contre le pape, les indulgences et les
papistes, mais sans tumulte et sans violence. J’ai mis en avant la
Parole de Dieu, j’ai prêché, j’ai écrit ; je n’ai pas fait autre chose. Et,
tandis que je dormais,... cette Parole que j’avais prêchée a renversé
le papisme, tellement que jamais ni prince, ni empereur ne lui ont
causé tant de mal. Je n’ai rien fait : c’est la Parole seule qui a tout
fait. Si j’avais voulu en appeler à la force, l’Allemagne eût peut-être
été inondée de sang, mais qu’en eût-il résulté ? Ruine et désolation
pour les âmes et pour les corps. Je suis donc resté tranquille, et j’ai
laissé la Parole elle-même courir le monde.”
Jour après jour, pendant une semaine entière, Luther prêcha de-
vant des foules avides. La Parole de Dieu rompit le charme du
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fanatisme. La puissance de l’Evangile ramena les égarés dans la voie
de la vérité.
Luther ne désirait pas rencontrer les fanatiques, auteurs de tout
le mal. Il les savait déséquilibrés, livrés à leurs passions. Se disant
spécialement inspirés d’en haut, ils ne pouvaient supporter ni ré-
primande, ni contradiction, ni même le conseil le plus bienveillant.
S’arrogeant une autorité suprême, ils exigeaient que leurs prétentions
fussent reconnues sans examen. Mais comme ils lui demandaient une
entrevue, il la leur accorda et les démasqua si bien qu’ils quittèrent
aussitôt Wittenberg.
Le fanatisme, réprimé pour un temps, éclata de nouveau quelques
années plus tard avec plus de violence, et avec des conséquences
plus lamentables. Des chefs de ce mouvement, Luther écrivait ce qui
suit : “L’Ecriture n’étant pour eux qu’une lettre morte, ils se mettent