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Chapiter 12 — La Réforme en France
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avec épouvante que la victime avait été choisie parmi les hommes
les plus nobles et les plus illustres de France. L’effroi, l’indignation,
le mépris et la haine se lisaient sur bien des visages ; mais il y avait
là un homme sur les traits duquel ne planait aucune ombre. Les
pensées du martyr étaient bien éloignées de cette scène de tumulte ;
il était pénétré du sentiment de la présence de Dieu. Il ne prenait
garde ni à la grossière charrette sur laquelle on l’avait hissé, ni aux
visages rébarbatifs de ses tortionnaires, ni à la mort douloureuse
vers laquelle il marchait. Celui qui était mort, et qui vit aux siècles
des siècles, qui tient les clés de la mort et du séjour des morts était
à ses côtés. Le visage du prisonnier rayonnait de la lumière et de
la paix du ciel. Revêtu de son plus beau costume — une robe de
velours, des vêtements de satin et damas et des chausses d’or
— il
allait rendre témoignage de sa foi en présence du Roi des rois et de
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l’univers, et rien ne devait démentir sa joie.
Tandis que le cortège avançait lentement dans les rues encom-
brées, on était frappé du calme, de la paix, voire du joyeux triomphe
que révélait toute l’attitude de ce noble. “Vous eussiez dit, raconte
Erasme d’après un témoin oculaire, qu’il était dans un temple à
méditer sur les choses saintes.”
Arrivé au bûcher, le martyr tenta de parler à la foule, mais les
moines, qui redoutaient son éloquence, couvrirent sa voix en pous-
sant des cris, tandis que les soldats faisaient entendre le cliquetis
de leurs armes. “Ainsi la Sorbonne de 1529, la plus haute autorité
littéraire et ecclésiastique de France, avait donné à la commune de
Paris de 1793 le lâche exemple d’étouffer sur l’échafaud les paroles
sacrées des mourants
Louis de Berquin fut étranglé et son corps livré aux flammes. La
nouvelle de sa mort eut un contrecoup douloureux chez les amis de
la Réforme dans toute la France. Mais son exemple ne fut pas perdu.
“Nous voulons, se disaient l’un à l’autre les hommes et les femmes
de la Réforme, nous voulons aller au-devant de la mort d’un bon
cœur, n’ayant en vue que la vie qui vient après elle.”
Privés du droit de prêcher à Meaux, les réformateurs se rendirent
dans d’autres champs de travail. Lefèvre ne tarda pas à passer en
1. Merle d’Aubigné,
Hist. de la Réformation au temps de Calvin
, liv. II, chap. XVI,
p. 60.
1. G. de Félice, ouv. cité, p. 34.