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La Tragédie des Siècles
la passion, le fanatisme qui rendirent la France si aisément complice
de ces persécutions. Ce fut obéissance au maître.
”Quand le XVIIIe siècle se leva, les supplices ne se lassèrent pas.
Les gibets marquèrent les jours. Les héros des Cévennes, torturés,
rompus vifs, puis écartelés, puis brûlés au milieu des ricanements
de la foule et laissés en pâture aux corbeaux, remplissent d’abord
la scène. Ils montrent ce qu’on pouvait encore trouver de barbarie
sous l’élégance et la frivolité de ce temps. Les meurtres paraissent
plus odieux parce qu’ils sont ordonnés sans foi et par routine. Les
juges continuent de condamner, les bourreaux de tuer, par servilité,
par complaisance.
”Au milieu de tant d’horreur, la France n’avait témoigné ni regret
ni pitié. Quelques années s’étaient passées ; elle avait tout oublié.
Ces plaintes déchirantes des exilés, ces demandes de garanties, cette
dignité de l’individu, cette résistance à l’oppression, ce sérieux du
cœur, ne parurent bientôt aux Français qu’un style de “réfugiés”.
Cela aida sans doute les proscrits à affermir leurs cœurs sans regarder
en arrière.
”Les persécutions que les catholiques ont fait subir aux protes-
tants ont corrompu les premiers. La comparaison perpétuelle, que
les intendants étaient chargés de faire entre la conviction religieuse
et les intérêts, était avilissante pour tous.
”Déjà l’exemple de la noblesse, par ses abjurations intéressées,
avait enseigné bien haut qu’il n’y a qu’une chose sérieuse dans la
vie :
les biens et la fortune
. [ !] C’était le mot de Bâville.
”Il y eut quelque chose de plus odieux que les supplices. Je veux
dire les mépris, les brutalités, les outrages envers les convictions. On
donnait huit jours à une population pour se convertir : après cela le
sabre. La légèreté, comme tyran, aidait à la cruauté. On riait de ces
âmes quand on les avait flétries. Le duc de Noailles écrit à Louvois :
“Le nombre des religionnaires dans cette province est de 240 000. Je
crois qu’à la fin du mois, tout sera expédié.” Jamais pareil cynisme
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dans la persécution. On ne recevait les hommes à merci qu’après les
avoir dégradés.
L’athéisme devait sortir de là
; Bayle eut le mérite
de l’annoncer le premier.
Louis XIV, Louvois, Tellier
[jésuite, confesseur du roi]
extir-
pèrent Dieu. Les missionnaires bottés déchristianisèrent les catho-
liques
.