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La Tragédie des Siècles
et autres gens de distinction, tant laïques qu’ecclésiastiques, lui ren-
daient visite. Spalatin écrivait que la petite chambre du réformateur
ne pouvait contenir tous ceux qui désiraient le voir. On le considérait
comme un être surhumain. Ceux mêmes qui ne croyaient pas à sa
doctrine ne pouvaient s’empêcher d’admirer la noble droiture qui
lui faisait braver la mort plutôt que de violer sa conscience.
De sérieux efforts furent tentés en vue d’amener Luther à entrer
en compromis avec Rome. Nobles et princes lui firent remarquer
que s’il persistait à mettre son opinion au-dessus de celle de l’Eglise
et des conciles, il ne tarderait pas à être banni de l’empire et laissé
sans défense. A quoi Luther répondit : “L’Evangile du Christ ne
peut être prêché sans scandale. Comment donc cette crainte ou cette
appréhension du danger me détacherait-elle du Seigneur et de cette
Parole divine qui est l’unique vérité ? Non, plutôt donner mon corps,
mon sang et ma vie !”
On l’engagea derechef à se soumettre au jugement de l’empe-
reur, faisant valoir que, s’il l’acceptait, il n’aurait rien à craindre.
“Je consens de grand cœur, dit-il, que l’empereur, les princes, et le
plus chétif des chrétiens examinent et jugent mes écrits, mais à une
condition, c’est qu’ils prennent la Parole de Dieu pour règle. Les
hommes n’ont pas autre chose à faire qu’à lui obéir. Ma conscience
est sa prisonnière, et je dois lui être soumis.”
A un autre appel, il répondait : “Je consens à renoncer au sauf-
conduit. Je remets entre les mains de l’empereur ma personne et ma
vie, mais la Parole de Dieu, ... jamais !” Il voulait bien se soumettre
à la décision d’un concile général, mais à la condition que ce concile
jugeât selon la Parole de Dieu. “Pour ce qui touche à la Parole de
Dieu et à la foi, ajoutait-il, tout chrétien est aussi bon juge que le
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pape, ce dernier fût-il même appuyé par un million de conciles
Amis et ennemis finirent par se convaincre de l’inutilité de tout
nouvel effort de réconciliation.
Si le réformateur avait fléchi sur un seul point, Satan et ses armées
eussent remporté la victoire. Mais son inébranlable fermeté fut le
gage de l’émancipation de l’Eglise et l’aube d’une ère nouvelle.
L’influence de cet homme qui osait, en matière de religion, penser
et agir pour lui-même, allait se faire sentir sur les Eglises et sur
1. Luther,
Œuvres complètes 2 :107
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