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La Tragédie des Siècles
indépendant et frondeur des Genevois. Sa santé délicate et ses habi-
tudes studieuses lui faisaient désirer la retraite. Pensant qu’il pourrait
mieux servir la cause de la Réforme par la plume, il cherchait un lieu
paisible où il pût se livrer à l’étude et, de là, instruire et édifier les
églises au moyen de la, presse. Mais, dans la sommation de Farel,
il crut entendre la voix de Dieu et n’osa plus résister. Il lui sembla,
dit-il plus tard, “que la main de Dieu descendait du ciel, qu’elle le
saisissait, et qu’elle le fixait irrévocablement à la place qu’il était si
impatient de quitter
.
De grands périls menaçaient alors la cause protestante. Le pape
fulminait ses foudres contre Genève, et des nations puissantes médi-
taient sa ruine. Comment cette petite cité pourrait-elle échapper à la
puissante hiérarchie qui avait subjugué tant de rois et d’empereurs ?
Comment pourrait-elle résister aux armées des grands conquérants
de la terre ?
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Dans toute la chrétienté, les protestants étaient entourés d’en-
nemis formidables. Les premiers triomphes de la Réforme passés,
Rome rassemblait de nouvelles forces dans l’espoir de l’écraser.
C’est alors que se fonda l’ordre des Jésuites, le défenseur de la
papauté le moins scrupuleux, le plus puissant et le plus cruel. Affran-
chis de toute obligation et de tout intérêt humains, morts aux droits
de l’affection naturelle, sourds à la voix de leur raison et de leur
conscience, les Jésuites ne connaissaient d’autre liens et d’autres
règles que ceux de leur ordre, ni d’autre devoir que celui d’en ac-
croître la puissance. L’Evangile de Jésus-Christ donnait à ceux qui
l’acceptaient la force d’affronter le danger, de supporter sans décou-
ragement la souffrance, le froid, la faim, la fatigue et la pauvreté.
Il les rendait capables de prêcher la vérité sans craindre ni la roue,
ni la prison, ni le bûcher. Pour les combattre, le jésuitisme inspira à
ses disciples un fanatisme qui leur permettait d’affronter les mêmes
dangers et d’opposer à la vérité toutes les armes de l’erreur. Pour
arriver à leurs fins, il n’y avait pour eux ni crime trop hideux, ni
duplicité trop basse, ni stratagème trop audacieux. Ayant fait vœu de
pauvreté et d’humilité perpétuelles, ils ne recherchaient la fortune et
1. Merle d’Aubigné,
Hist. de la Réformation au temps de Calvin
, liv. IX, chap. XVII,
p. 589.