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La Tragédie des Siècles
Les hommes les plus purs, les plus nobles et les plus distingués
de France vivaient dans les chaînes, ou exposés aux plus horribles
tortures dans la promiscuité des bandits et des assassins. Plus humai-
nement traités étaient ceux qui, sans armes et sans défense, tombant
à genoux et se recommandant à Dieu, étaient fusillés de sang-froid.
Des centaines de vieillards, de femmes inoffensives et d’enfants
innocents, surpris en pleine assemblée, étaient laissés inanimés sur
les lieux. En parcourant le versant des montagnes où ces infortunés
chrétiens avaient coutume de se réunir, on voyait souvent, “tous les
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quatre pas, des corps morts qui jonchaient le chemin et des cadavres
suspendus aux arbres”. Leur pays, dévasté par l’épée, la hache et le
bûcher, fut transformé en un vaste et lugubre désert. “Ces atrocités
se perpétraient non pas en un temps de ténèbres et d’ignorance, mais
dans le siècle poli de Louis XIV, siècle où les arts et les sciences
étaient cultivés, où les lettres florissaient et où les théologiens de la
cour et de la capitale, savants et éloquents, se paraient des grâces de
la douceur et de la charité
Mais le plus noir des forfaits, le plus atroce des crimes enregistrés
par l’histoire, fut le massacre de la Saint-Barthélemy. Le monde
frémit encore d’horreur au souvenir de ce lâche et cruel attentat. Sous
la pression des dignitaires de l’Eglise, ce crime fut autorisé par le
roi de France. Une cloche de l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois,
retentissant dans le silence de la nuit, donna le signal de la tuerie.
Des milliers de protestants qui, comptant sur la parole d’honneur
de leur roi, reposaient tranquillement dans leurs lits, furent assaillis
dans leurs demeures et massacrés.
De même que le Christ avait été le Conducteur invisible de son
peuple lorsqu’il l’arracha à l’esclavage de l’Egypte, de même Satan
fut le chef invisible de ses sujets dans cet horrible égorgement qui
se poursuivit dans Paris sept jours durant, les trois premiers avec
une indicible fureur. Mais cette œuvre de mort ne se borna pas à la
capitale : par ordre du roi, elle s’étendit à toutes les provinces et à
toutes les villes où vivaient des protestants. On n’eut égard ni à l’âge
ni au sexe. On n’épargna ni l’enfant à la mamelle, ni le vieillard aux
cheveux blancs. Nobles et paysans, jeunes et vieux, mères et enfants,
tous étaient également immolés. Le massacre dura deux mois entiers
1. Voir Appendice.